C'est quoi le pitch? Après la Seconde Guerre mondiale, Guillaume Berkeley, anglais, est condamné à mort pour avoir collaboré. Emprisonné, il raconte son histoire animée de fidélités successives : son amour pour sa demi-sœur par alliance Pauline, la rivalité avec son frère Victor, ses rencontres parisiennes durant le conflit 39-45... 

Mon avis : 

"Champion du double jeu, je ne sais plus ni qui je suis, ni quelle vie est véritablement la mienne". Voilà une phrase de ce roman qui résume à elle seule le contenu d'un pavé captivant et surprenant. Depuis un an et demi qu'il dormait dans ma table de chevet ! Avec moi, c'est souvent comme ça : plus un livre est gros et la couverture insignifiante, plus je vais le reléguer et l'oublier. Erreur ! 

Bon, au début, j'ai eu du mal à rentrer dedans. L'auteur voulait rester mystérieux, ne pas dévoiler tout de suite les caractéristiques de chaque personnage. Mais une fois que la véritable histoire de Guillaume Berkeley est racontée. Et elle se révèle passionnante, voire complètement insensée et invraisemblable tellement il a joué sur les deux tableaux. Tantôt collabo, tantôt résistant, même lui ne savait plus qui il était !

Je citerais un autre passage de ce livre qui explique le drôle de parcours de vie de Guillaume, dont on a dû mal à cerner la personnalité : 

"J'étais trop ambigu pour mon époque, trop inclassable. La France aime les cadres et les cases. Sortez du carcan bon-méchant, blanc-noir, affront-vengeance, et l'on vous regarde avec méfiance, comme si vous étiez plus dangereux qu'un assassin. C'est là une maladie très française, ce besoin cartésien de mettre des étiquettes, d'inventorier, de trouver une logique. Il n'y a pourtant aucune logique dans ma vie. Juste un destin. Le destin d'un homme à cheval entre deux cultures, deux mondes, deux pays,deux rives, deux aspirations, deux familles d'esprit, deux rêves de gloire, deux amours". 

Il n'y a pas plus flou que ce Guillaume Berkeley, et généralement, c'est tout ce que je déteste parce que je ne parviens pas à ressentir d'empathie pour ce type de personnage. Ce qui illustre parfaitement la citation susdite : les Français aiment mettre des étiquettes, ranger dans des cases. OUi, c'est peut-être une spécificité française de ranger le monde selon un ordre manichéen. Parce que j'ai du mal à me dire qu'un même homme peut à la fois être capable du meilleur comme du pire. D'ailleurs, il me rappelait "Les bienveillantes" de Jonathan Littell à cause du personnage-narrateur ambigu. Guillaume n'est, hélas, qu'une victime de cette guerre dans laquelle il s'est embourbé en suivant tantôt la collaboration, tantôt la résistance. Présente-t-il un danger pour les autres? Je dirais qu'à choisir un camp puis l'autre, à ne pas savoir sur quel pied danser, il n'est donc pas fiable et peut retourner sa veste en un quart de tour, selon ce qui est favorable pour lui. Après, difficile de juger ses actes, surtout quand on découvre la sombre machination fomentée contre lui... 

Nicolas d'Estienne d'Orves a fourni un roman foisonnant, s'appuyant sur de nombreux faits (il est fait mention, notamment, des nombreux écrivains ou acteurs de l'époque qui ont joué le jeu de la collaboration). Un roman très documenté que je ne peux que conseiller, surtout qu'il met en lumière toute la complexité d'une guerre où ceux qui ne choisissaient pas de camp ne pouvaient qu'être considérés que comme des traîtres à la nation, même s'ils ont commis quelques faits pour se racheter. 

  • Les fidélités successives, Nicolas d'Estienne d'Orves, éditions Albin Michel (2012)
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